vendredi 26 mars 2021
Interview grand format : Laure JANDET, des filets de pêche transformés en filament pour impression 3D.
Interview riche en ambition avec Laure JANDET, fondatrice de ValorYeu qui propose des bobines de filaments pour impression 3D en PA6 100 % recyclé et souhaite répondre aux attentes environnementales qui sont de recycler 100% des plastiques en 2025. Comme elle nous le précise : « Mon entreprise est jeune mais il faut aller vite, l’urgence environnementale n’attend pas ».
Présentez-vous et dites-nous comment est venue l’idée de fonder ValorYeu ?
On me définit comme une entrepreneuse engagée et déterminée. J’ai démarré mon activité en conseil en cybersécurité* et en accompagnement de projets de transition écologique à la Chapelle sur Erdre, où je me suis investie comme présidente de l’association des entreprises (ECE) pendant 2 ans. En 2017, à l’occasion d’une partie de pêche amateur avec mon père, nous nous interrogeons sur le recyclage des filets de pêche. Renseignements pris à la criée, il n’existe pas de filière locale ni même nationale pour collecter les filets et leur donner une seconde vie : l’idée du projet ValorYeu était née.
Après une phase de R&D menée en partenariat avec l’ICAM Nantes (cofinancée par l’ADEME Pays de la Loire), j’ai implanté ValorYeu au plus près de mes racines et proche de sources de filets usagés. Les essais sont concluants et m’ont permis de développer une solution de recyclage des filets fins de pêche en polyamide 6 (plus connu sous l’appellation « nylon »). Les filets sont transformés en produits à haute valeur ajoutée : consommables pour impression 3D, objets et pièces techniques. Avec le soutien de la Région des Pays de la Loire, de la commune de l’île d’Yeu et des pêcheurs, je lance ma première chaîne de préparation et de valorisation ce printemps. La crise sanitaire ayant perturbé le planning initial, il a fallu changer deux fois de site de développement et je suis fière d’avoir pu enfin déménager l’entreprise sur l’île d’Yeu. L’ICAM et des partenaires industriels continuent de m’accompagner dans la réussite de ce projet d’économie circulaire à fort ancrage territorial.
Pourquoi est-il important de combiner impression 3D et « recyclage » ?
L’impression 3D est pleine de promesses ! Elle se démocratise et permet de fabriquer facilement et localement des objets et des composants dans de nombreux domaines que nous expérimentons : santé (coudières de portes pour les hôpitaux en créations, visières, prototypes de valves pour respirateurs), mobilier (intégration d’un agent antibactérien / antifongique pour les obligations sanitaires), textiles (tests de boutons imprimés en 3D), réparation (pièces techniques pour l’industrie navale et de plaisance) …
Mais attention à « l’effet rebond » ! Si le développement de l’impression 3D aboutit à davantage d’utilisation de plastique vierge issu de ressources pétrolières, cela ne va pas dans le sens de la transition écologique qui est notre enjeu collectif actuel. Le secteur de la plasturgie l’a compris et s’engage depuis quelques années dans l’utilisation plus conséquente de matières recyclées et l’amélioration de la collecte de déchets, pour diminuer les prélèvements sur les ressources naturelles et notamment l’extraction de pétrole.
C’est pourquoi ValorYeu propose des bobines de filaments pour impression 3D en PA6 100 % recyclé. Aujourd’hui nous collaborons avec Longchamp, l’entreprise familiale française de maroquinerie qui cherche à s’inscrire davantage dans l’économie circulaire, comme le fait de réutiliser ses chutes de productions pour les remettre dans le circuit en tant que matière première pour des projets nouveaux… et en imaginant intégrer les bobines de filament 3D ValorYeu en filets de pêches dans ce process.
Nous testons également la fabrication d’objets (cette fois-ci en injection) comme des assiettes à huîtres avec les ostréiculteurs ou des pièces techniques pour les sports nautiques. Le port de La Rochelle a été le premier à nous missionner pour valoriser ces déchets en ressources. Puis ce mois-ci nous signons un engagement auprès du Port La Turballe – Le Croisic afin de répondre à leur problématique mêlant l’activité pêche et la plaisance en redonnant une seconde vie aux filetx auprès d’une filière locale. Ce qui importe dans tous ces développements de projet réside dans le fait de toujours aller plus loin dans notre démarche d’économie circulaire … par exemple, en projetant sur 2021 de faire notre premier approvisionnement de filets de pêches de Loire Atlantique (La Turballe / Le Croisic) avec un transport uniquement à la voile jusqu’à l’Île d’Yeu… Et nous avons hâte !
Quels sont les avantages de donner « une seconde vie » aux filets de pêche ?
Les filets de pêche usés représentent près de 10% de la pollution plastique retrouvée au fond des océans, soit 640 000 tonnes/an au niveau mondial (800 tonnes pour la France), ce qui pollue les écosystèmes marins. Leur traitement génère également de la pollution puisque les filets sont souvent enfouis ou incinérés, le recyclage matière démarre tout juste. Avec sa feuille de route économie circulaire, la France s’est fixée pour objectif de recycler 100 % des plastiques dans seulement 4 ans ! Pour la pêche, la collecte sélective des différents déchets portuaires se met en place et un éco-organisme pour les engins de pêche usagés sera créé au plus tard fin 2024. C’est donc un défi national : il faut mettre au point très rapidement des organisations et des procédés robustes et capacitaires de recyclage matière. Et surtout le faire en partenariat avec les pêcheurs et les métiers liés à la pêche notamment les « déralingueuses » qui maitrisent depuis des générations l’art de dégarnir les ralingues et cordages cousus pour séparer et préparer les filets. C’est pourquoi le comité régional de la pêche en mer (COREPEM) soutient ValorYeu et que la première réalisation est de boucler la boucle « de la mer à l’assiette » en proposant des assiettes à huîtres éco-sourcés réutilisables et solidaires : ValorYeu verse en plus un don à la Société Nationale de Sauvetage en Mer (SNSM) pour chaque assiette vendue. S’il n’est pas encore possible techniquement et économiquement de recycler la matière pour fabriquer de nouveaux filets de pêche, ce sera peut-être le cas à moyen terme ?
Cette matière recyclée, peut-on l’utiliser sur n’importe quelle machine 3D ?
Les tests avec nos partenaires spécialisés ont validé la qualité de notre matière Polyamide 6 (PA6, appelé plus communément Nylon) 100 % recyclée sous la forme de filaments pour impression 3D. Le PA6 présente de très bonnes qualités à l’usure, de rigidité, de dureté et de résistance à la fatigue. Il est utilisé principalement pour sa résistance aux chocs et sa résistance aux produits chimiques (hydrocarbures notamment). C’est l’une des 3 matières plastiques les plus utilisées après le PLA et l’ABS. Le Nylon permet l’impression de tous types d’objets et est souvent utilisée dans l’industrie automobile. Il peut y être ajouté de la fibre de verre ou du carbone afin d’augmenter ses propriétés de résistance mécaniques. Sa température de transformation et ses propriétés la rendent compatible avec toutes les imprimantes du marché disposant d’un plateau chauffant à au moins 80°.
Nous confirmons que notre filament 3D est imprimable sans difficulté dans les conditions d’impressions d’un PA6. Il est préférable néanmoins de l’imprimer en enceinte fermée. Pour un résultat optimal, nous recommandons les paramètres d’impression figurant dans notre cahier des charges et fiche technique d’utilisation.
C’est un atout et c’est également la raison du positionnement de notre entreprise sur les industriels désirant valoriser concrètement leur démarche RSE.
Quelle est la cible principale de ValorYeu ?
Nous visons les activités de l’impression 3D évidemment, mais aussi la pêche, le nautisme, les textiles, le secteur médical…Je recherche des partenaires et des clients qui partagent les valeurs de ValorYeu et cherchent à diminuer leurs impacts environnementaux en substituant dans leurs produits du plastique vierge par du plastique recyclé dont l’origine est connue. Notre projet relève de l’économie circulaire : il est à la fois entrepreneurial, territorial et écologique. C’est pourquoi j’embarque dans cette aventure les pêcheurs et les acteurs de l’activité pêche, les collectivités locales (l’île d’Yeu, la Rochelle, La Turballe – Le Croisic, la région Pays de la Loire), des partenaires techniques et académiques.
Comment voyez-vous VALORYEU dans les années à venir ? (vos projets futurs)
Je poursuis mes contacts pour étendre le domaine d’application de ma matière et étudie la collecte et la valorisation d’autres matières. J’aimerais que le savoir-faire que développe progressivement ValorYeu permette aux pêcheurs de recycler davantage de matériaux. C’est un métier soumis à de fortes contraintes économiques et environnementales, tout ce qui peut contribuer à sa résilience a une importance vitale, surtout sur un petit territoire comme l’île d’Yeu.
Mon entreprise est jeune mais il faut aller vite, l’urgence environnementale n’attend pas et les engagements qu’a pris la France nous fixent le cap, très proche, de 2025. ValorYeu ce sont de belles rencontres et la fierté d’un projet utile. Je souhaite faire évoluer ValorYeu vers le statut de société à mission, une possibilité introduite en 2019 par la loi « Pacte » relative à la croissance et la transformation des entreprises. Pour développer mon entreprise, recycler davantage de filets de pêche et agir contre la pollution des océans, j’envisage de créer des emplois techniques en 2022 et de faire travailler des personnes en insertion à l’île d’Yeu. Pourvoir je l’espère, créer du lien et du liant avec des organismes de formations et des écoles pour former directement sur l’Île d’Yeu au lieu de voir partir sur le « continent » les personnes ayant l’ambition de trouver de nouvelles activités professionnelles (conseil cyber ou transformation de plastiques).
Le numérique se développe à grande vitesse dans les organisations et au regard des enjeux de sécurité associés, ValorYeu a développé un partenariat avec la société Wallack afin d’accompagner ses clients dans leur sécurité numérique.